- ATHOS (MONT)
- ATHOS (MONT)En Grèce du Nord, une péninsule longue de 60 kilomètres et large de 10 s’avance dans la mer Égée; elle culmine à son extrémité avec le mont Athos (2 034 m). De là a rayonné, là se maintient encore la haute tradition contemplative de l’Église orthodoxe.D’après la légende mythologique, pierre lancée par le géant Athos à Poséidon, le mont Athos a retrouvé depuis un peu plus d’un millénaire son caractère de défi jeté. Non plus maintenant à la divinité: il est devenu et demeure au contraire, par l’implantation de la prière dans ce paysage, défi aux tiédeurs et aux conformismes!La prière du cœurC’est au Xe siècle que les moines se sont établis sur la «sainte montagne», «jardin de la Vierge», jalousement interdit à toute autre présence féminine: ermites d’abord (saint Pierre l’Athonite), puis cénobites (saint Athanase fonde la grande laure en 963). L’Athos hérite une conception souple, synthétique, personnaliste de la vie monastique: il s’agit moins de «règles» que d’indications, et le passage demeure toujours possible de la discipline communautaire à l’extrémisme spirituel des solitaires. Ainsi voisinent, parfois rivaux, le plus souvent complémentaires, l’Athos septentrional, où de grands monastères se disséminent dans des collines boisées (la forêt méditerranéenne originelle subsiste, en partie grâce à l’interdit qui frappe les chèvres, animaux femelles), et l’Athos du Sud, «désert» rocheux des ermitages et des skites (qui groupent quelques disciples autour d’un maître librement choisi). Ainsi se transmet, par vivantes étapes d’initiation, la «science secrète» des «silencieux» (hésychastes) qui font «descendre l’esprit dans le cœur» pour devenir, de tout leur être, «prière pure».Des moines affluent de tout l’univers orthodoxe : des Grecs, des Géorgiens, des Slaves du Sud, des Russes dès le XIe siècle, des Italiens (Amalfitains) jusqu’au XIIIe siècle, et des Roumains à partir du XIVe. Vingt grands monastères quasi souverains se partagent la péninsule et s’organisent en une fédération gouvernée par le conseil des épistates , à Karyès. La fédération athonite, reconnaissant la haute juridiction du patriarche de Constantinople, constitue donc un État autonome qui, depuis 1912, se trouve sous le protectorat de la Grèce.Le cœur de l’orthodoxieDans un Orient chrétien qui n’a cessé de se diversifier par essaimage d’Églises sœurs, l’Athos a exprimé, au niveau spirituel, l’unité et l’universalité de l’orthodoxie, qu’il a sauvée deux fois, autour de 1300, puis vers 1800.À la fin du XIIIe siècle, après une phase de décadence, saint Grégoire le Sinaïte ranime à l’Athos la tradition hésychaste de la «prière de Jésus», invocation intériorisée à l’aide des rythmes du souffle et du cœur, selon la formule alors fixée: «Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur.» Ce renouveau permet aux athonites du XIVe siècle, dont le porte-parole est saint Grégoire Palamas, de maintenir, contre des interprétations rationalistes, le réalisme de la déification, et de fonder ainsi une théologie expérimentale des énergies incréées. L’Athos mène donc à son terme le cycle pneumatologique de la pensée byzantine et permet une véritable réforme intérieure de l’Église.Sous la domination turque, l’Athos sauvegarde son autonomie moyennant tribut. La discipline se relâche dans les monastères avec la généralisation du système «idiorythmique», qui supprime toute vie commune en dehors des offices. Toutefois, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le mouvement des collyvades apparaît (de collyves , gâteaux funéraires; les collyvades, ainsi surnommés par leurs adversaires, interdisaient tout rite funéraire après la liturgie eucharistique du dimanche). Ce mouvement marque la renaissance de l’hésychasme, et les résistances qu’il rencontre à l’Athos même vont entraîner sa diffusion dans l’ensemble du monde orthodoxe. Saint Nicodème l’Hagiorite (de hagios oros , «sainte montagne») rédige la Philocalie (mot à mot: «amour de la beauté»), vaste anthologie mystique que le starets Païsié Vélichkovsky, après un séjour de seize ans à l’Athos, traduit en slavon et fait connaître au monde russe. Ainsi la tradition athonite répond, par l’expérience intérieure et le renouveau de la paternité spirituelle, au positivisme et à la révolte modernes : elle féconde secrètement l’œuvre d’un Dostoïevski.Au XIXe siècle et jusqu’à la révolution de 1917, c’est l’essor du monachisme russe sur la «sainte montagne» non sans vives tensions nationalistes avec les Grecs. Parmi ces moines russes s’est développée, au début du XXe siècle, l’hérésie des onomolâtres (adorateurs du Nom) qui, tout en conférant, d’une manière assez fruste, une valeur absolue au Nom divin, eut le mérite de transmettre à la philosophie religieuse russe (surtout les sophiologues, Florenski, Boulgakov) le sens athonite du réalisme mystique.Les révolutions communistes de notre siècle tarissent les recrutements slave et roumain. On compte aujourd’hui environ 1 500 moines seulement, contre 7 000 en 1912, et peut-être 15 000 aux XIVe-XVIe siècles. Il faut pourtant se garder du pessimisme. L’Athos grec connaît un net renouveau avec l’afflux de jeunes intellectuels, la disparition de l’idiorythmie au profit du cénobitisme, le témoignage de grands «spirituels» tel le père Païssios. Quelques moines serbes, bulgares, russes et roumains ont pu y venir ces dernières années, ce qui revêt une valeur symbolique. Sont arrivés aussi plusieurs Occidentaux convertis à l’orthodoxie. Devant certaines attitudes faciles de l’œcuménisme et d’un christianisme réduit au service social, l’Athos se retranche dans le témoignage abrupt, parfois clos, d’une orthodoxie eschatologique.
Encyclopédie Universelle. 2012.